Page:Sand - Journal d’un voyageur pendant la guerre.djvu/177

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Le jardin que j’ai laissé desséché a reverdi et refleuri comme s’il avait le temps de s’amuser avant les gelées. Il a repoussé des roses, des anémones d’automne, des mufliers panachés, des nigelles d’un bleu charmant, des soucis d’un jaune pourpre. Les plantes frileuses sont rangées dans leur chambre d’hiver. La volière est vide, la campagne muette. Y reviendrons-nous pour y rester ? La maison sera-t-elle bientôt un pauvre tas de ruines comme tant d’autres sanctuaires de famille qui croyaient durer autant que la famille ? Mes fleurs seront-elles piétinées par les grands chevaux du Mecklembourg ? Mes vieux arbres seront-ils coupés pour chauffer les jolis pieds prussiens ? Le major Boum ou le caporal Schlag coucheront-ils dans mon lit après avoir jeté au vent mes herbiers et mes paperasses ? Eh bien ! Nohant à qui je viens dire bonjour, silence et recueillement où j’ai passé au moins cinquante ans de ma vie, je te dirai peut-être bientôt adieu pour toujours. En d’autres circonstances, c’eût été un adieu déchirant ; mais si tout succombe