Page:Sand - L Homme de neige vol 3.djvu/69

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— Non, répondit le danneman, dont la physionomie s’anima d’une singulière exaltation. Il était bien à elle, mais il n’avait pas été conçu et enfanté comme les autres. Karine a eu du malheur, comme il en arrive aux filles qui apprennent des choses au-dessus de leur état, et qui lisent dans les livres d’une religion que nous ne devons plus connaître ; mais elle n’a pas fait le mal qu’on dit. J’ai été trompé là-dessus comme les autres, moi qui te parle ! Il fut un temps, j’étais encore bien jeune alors, où je voulais envoyer une balle dans la tête d’un homme dont Karine parlait trop dans ses rêves ; mais Karine a juré à notre mère et à moi qu’elle haïssait cet homme-là. Elle l’a juré sur la Bible, et nous avons dû la croire. L’enfant a été nourri dans la montagne par une daine apprivoisée, qui suivait Karine comme une chèvre. Elle demeura plus d’un an seule avec lui dans une autre maison que nous avons, bien plus haut que celle où tu es entré. Quand l’enfant a été sevré, nous l’avions reçu chez nous et nous l’aimions. Il grandissait, il parlait et il était beau ; mais, un jour, il est parti comme il était venu, et Karine a tant pleuré, que son esprit s’est envolé pendant longtemps après lui. Il y a bien du mystère là-dessous. Ne sait-on pas qu’il y a des femmes qui mettent des enfants au monde par la parole seulement, de la même manière