Page:Sand - La Daniella 1.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ingrat si je me plaignais de mon oncle. Il a fait pour moi tout ce qu’il s’est avisé de faire et ce qu’il a jugé le meilleur. Sa vieille servante a eu des soins si maternels pour ma santé, ma propreté, mon bien-être ; elle et lui ont si bien assuré le charme de mes loisirs, en prévenant tous mes besoins ; une telle habitude de silence, d’ordre et de douceur régnait autour de moi lorsque mon oncle s’absentait pour les soins de son ministère, qu’il n’aurait pas eu de motifs pour s’inquiéter de moi. Chaque jour, songeant au triple dépôt qui lui était confié, ma vie, mon âme et ma bourse, il me faisait trois questions : « Tu n’es pas malade ? Tu ne perds pas ton temps ? Tu n’as pas besoin de quelque argent ?» Et, comme je répondais invariablement non, à ces trois interrogations, il s’endormait tranquille.

— Ainsi, repris-je, tu ne te plains de personne ; mais tout à l’heure tu avais sur les lèvres, comme par réticence, une sorte de plainte contre toi-même.

— Je ne suis ni content ni mécontent de ce que je suis. N’ayant été poussé dans aucune direction, je ne peux pas valoir grand’chose, et, si je me suis permis de vous parler de moi, c’est qu’il faut bien que je m’excuse de la visite que j’ai osé vous faire.

— Ta visite m’est agréable, ton nom m’est cher, et tu m’intéresses par toi-même, bien que je ne pénètre pas encore beaucoup ton caractère et tes idées.

— C’est qu’il n’y a rien à pénétrer du tout, dit le jeune homme avec un sourire plutôt enjoué que mélancolique. Je suis un être tout à fait nul et insignifiant, je le sais ; car, depuis quelque temps, je commençais à me lasser de mon bonheur et à reconnaître que je n’y avais aucun droit ; voilà pourquoi, dès que l’heure de ma majorité a sonné, j’ai demandé à mon oncle la permission d’aller voir Paris, et, lui faisant part de mes projets, j’ai obtenu son assentiment.