Page:Sand - La Daniella 1.djvu/142

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Ce mouvement me fit croire que le cabri sentait mauvais et que miss Medora, s’en apercevant tout à coup, respirait son mouchoir parfumé.

Je me hâtai de porter le chevreau au chevrier, qui ne manqua pas de me tendre la main avant que j’eusse eu le temps de porter la mienne à ma poche pour y prendre, à son intention, quelques baroques. Mais, quand je remontai en voiture, je vis Medora sanglotant, sa tante s’efforçant de la calmer, et milord sifflant entre ses dents un lila burello quelconque, de l’air d’un homme embarrassé d’une scène ridicule. Cette situation incompréhensible me mit fort mal à l’aise. Je me hasardai à demander si miss Medora était malade. Aussitôt le mouchoir cessa de cacher son visage, et, à travers de grosses larmes qui coulaient encore, elle me regarda d’un air étrange, en me répondant, d’un ton enjoué, qu’elle ne s’était jamais sentie si bien.

— Oui, oui, se hâta de dire lady B***. Ce n’est rien ; qu’un peu de mal aux nerfs.

Et lord B*** ajouta :

— Certainement, certainement, des nerfs, et rien de plus.

— Cela m’est égal, pensai-je.

Et, au bout de peu d’instants, je trouvai un prétexte pour monter sur le siège à côté du cocher, liberté à laquelle j’aspirais depuis longtemps, et plus vivement encore depuis cette scène mystérieuse où mon rôle était nécessairement celui d’un indifférent incommode ou d’un indiscret mal appris.

Un peu plus loin, on s’arrêta pour voir les petits lacs dei tartari[1] et la curieuse cristallisation sulfureuse qui les environne. Figurez-vous plusieurs millions de petits cônes

  1. C’est-à-dire des tartres, et non pas des Tartares, comme traduisent quelques voyageurs