Page:Sand - La Daniella 1.djvu/154

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rien ne lui est plus désagréable que les imperceptibles fatuités rétrospectives de son mari à son égard. Elle lui sut donc un gré infini de s’être arrêté à temps dans sa commémoration de tête-à-tête de Chamounix.

— N’est-il pas très-plaisant, me dit tout bas miss Medora, que le dernier jour de tendresse de mon cher oncle et de ma chère tante soit daté de ce lieu symbolique, la mer de glace ?

Comme elle s’était appuyée, en me parlant, sur la barre de fer qui entoure la plate-forme du temple de la Sibylle, et que le bruit des eaux du gouffre couvrait nos voix, je pus, à deux pas de la table où lord B*** était encore assis avec sa femme, m’expliquer rapidement sans en être entendu.

— Je ne trouve rien de plaisant, dis-je à la railleuse Medora, dans la situation maussade et douloureuse de ces deux personnages, si charmants et si parfaits individuellement, si différents d’eux-mêmes quand ils sont réunis. Il me semble que rien ne serait plus facile à qui joindrait un peu d’adresse à beaucoup de cœur, de rendre leur désaccord moins pénible.

— Et je vois que vous avez entrepris cette tâche méritoire ?

— Ce n’est pas à moi, qui suis auprès d’eux un passant étranger, qu’il appartiendrait de l’entreprendre avec chance de succès. Ce devoir est naturellement indiqué à la délicatesse d’un esprit de femme…

— Et à la générosité de ses instincts ? Je vous comprends, merci ! J’ai été légère dans ma conduite vis-à-vis de mes parents, je le reconnais ; mais, à partir de ce jour, vous verrez que je sais profiter d’une bonne leçon.

— Une leçon ?

— Oui, oui, c’en est une, et vous voyez que je la reçois avec reconnaissance.