Page:Sand - La Daniella 1.djvu/158

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Je doublai le pas et remarquai, avec un certain effroi, que j’avais pour mon compte un peu de vertige. C’était comme une folle envie de courir sus à Medora, de lui prendre le bras et de m’élancer en riant avec elle dans ces ravissantes profondeurs de verdure et de rochers. Comme le sentier était des plus faciles, et que rien ne justifiait les appréhensions du gardien, je vis bien que mon vertige était plus moral que physique, et qu’en m’occupant à empêcher les toasts trop répétés de lord B***, j’avais perdu la conscience de mon propre état. J’avais pourtant bien discrètement fêté le vin d’Asti et le bordeaux de la voiture, mais j’avais eu chaud et soif ; peut-être avais-je été étourdi par le soleil qui nous tombait d’aplomb sur la tête, par le rugissement et le mouvement de la cascade placée verticalement devant nos yeux, par les singularités de Medora, par les expansions de lord B***. Bref, quelle qu’en fût la cause, et quelle que fut la tranquillité de ma conscience, je sentis que j’étais gris, mais gris à faire de sang-froid les plus splendides extravagances !




XV


Frascati, 1er avril.

J’étais gris, vous dis-je, et je sentis cela en courant, après miss Medora. Dans le peu d’instants qui s’écoulèrent avant que je fusse près d’elle, j’éprouvai une surexcitation qui développa dans ma tête un degré de lucidité extraordinaire. « Cette fille est riche et belle, me disais-je à moi-même. Elle se jette de gaieté de cœur dans un système de provocations