Page:Sand - La Daniella 1.djvu/164

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que les débris des temples et des aqueducs ; mais les ruines de la nature ont encore sur celles de nos œuvres cette supériorité que le temps bâtit sur elles, comme des monuments nouveaux, les merveilles de la végétation, les frais édifices de la forme et de la couleur, les véritables temples de la vie.

Par cette caverne, un bras de l’Anio se précipite et roule, avec un bruit magnifique, sur des lames de rocher qu’il s’est chargé d’aplanir et de creuser à son usage. À deux cents pieds plus haut, il traverse tranquillement la ville et met en mouvement plusieurs usines ; mais, tout au beau milieu des maisons et des jardins, il rencontre cette coulée volcanique, s’y engouffre, et vient se briser au bas du grand rocher, sur les débris de son couronnement détaché, qui gisent là dans un désordre grandiose.

Il me fallut, en cet endroit, me retourner, comme Orphée à la porte de l’enfer, pour regarder mon Eurydice, car elle avait malicieusement lâché le ruban et s’était vivement aventurée sot une planche jetée au flanc du sentier par-dessus le vide, et appuyée sur une faible saillie du grand rocher. C’était une pure forfanterie, car cette planche ne conduisait à rien, ne tenait à rien, et présentait le plus épouvantable danger. Je vis qu’en effet ma princesse était brave et affrontait le vertige avec une surprenante tranquillité. Mais quoi ! c’est une Anglaise, et je me persuade toujours qu’il y a plus de fer et de bois que de sentiment et de volonté dans ces belles machines qui se donnent pour des femmes. Je crois bien que, si elle était tombée, elle aurait pu se casser, mais qu’on eût pu la raccommoder, et qu’elle eût été miss Medora comme devant.

Néanmoins, mon premier mouvement fut une grande terreur et puis un accès de colère irréfrénable. Je courus à elle, je la pris, très-rudement par le bras et je l’entraînai