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XVI


Frascati, 1er avril.

— C’est moi, me dit lord B***, de cet air mystérieux et profond que donne l’ivresse, c’est moi qui veux vous faire les honneurs de la grotte des Sirènes.

Je me laissai conduire, et, pendant quelques instants, me sentant de nouveau très-gris, je vis toutes choses d’un œil très-vague. Cependant je fus remis et calme plus vite que je ne l’espérais.

Nous gagnâmes le fond resserré de l’entonnoir, qui en est la partie la plus délicieuse. Il est semé de blocs de rochers et de massifs d’arbres, et traversé par le bras de l’Anio, qui, arrivé à l’extrémité de ce petit cirque naturel, se précipite, s’engouffre et disparaît entièrement dans une dernière grotte tellement belle, qu’on la prendrait pour un ouvrage d’art. Le sentier n’a eu pourtant qu’à côtoyer son rebord pour faire pont sur le torrent. Là, en sûreté derrière un parapet de roches à peine dégrossies, qui ne gâte pas la délicieuse sauvagerie du lieu, on plonge de l’œil dans la profondeur d’un nouvel abîme qui est comme la clef du dernier déversoir de cette onde fougueuse, car elle s’y perd avec une dernière clameur effroyable, dans des cavités dont on ne connaît pas l’issue.

— C’est ici, me dit lord B***, que deux Anglais se sont fait avaler par cette bouche béante. On prétend qu’ils sont descendus sur cette corniche étroite, mais parfaitement praticable, que vous voyez là-dessous, et que le pied leur a glissé. Moi, je trouve qu’il faut être bien maladroit pour ne pas s’y promener les deux mains dans ses poches, et vous remarquerez