Page:Sand - La Daniella 1.djvu/241

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puissants, rois, empereurs, généraux, consuls, savants on papes, n’aient foulé la bruyère où voilà vos pieds, et respiré l’air que vous respirez maintenant.

— Je ne crois pas, répondis-je ; la bruyère est jeune, l’air est vieux et corrompu. Il était pur et salubre quand Rome était puissante. Croyez-vous qu’un État pareil eût pu avoir son siège dans ce marécage empesté qui est là-bas derrière nous ?

— Eh bien, du moins, les gens célèbres que vous savez ont regardé les montagnes que vous regardez, et, quand ils vinrent ici pour la première fois, ils demandèrent peut-être les noms des cimes et des vallées à quelque pauvre diable comme moi, de même que vous me le demandez maintenant. Vous me direz qu’ils ont aussi regardé le même soleil et la même lune que vous pouvez regarder à toute heure du jour et de la nuit. C’est ce que je me suis dit souvent.

— Il y a cette différence entre eux et moi que je ne suis qu’un pauvre diable comme vous.

— Eh ! chi lo sà ? Il parait qu’il vient ici, tous les ans, des personnes célèbres qui aiment à voir Tusculum, et dont on m’a dit les noms ; mais je n’en ai pas retenu un seul. Dans mille ans d’ici, les bergers de Tusculum les auront appris par la tradition et les diront comme je vous dirais ceux de Galba, de Mamilius on de Sulpicius.

— Vous en concluez donc que les hommes célèbres ne font pas tant d’effet de près que de loin ?

— Toutes choses sont ainsi. Voyez, ce pays est assez beau ; mais j’en connais bien qui sont plus beaux, et où personne ne va. Cependant on dit qu’il vient ici des voyageurs du fond de l’Amérique, le plus éloigné de tous les pays, si je ne me trompe, pour voir ces morceaux de marbre que je retourne avec mon pied. Ils y ramassent des briques, des cassures de verre et des mosaïques, et les emportent chez