Page:Sand - La Daniella 1.djvu/258

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et il m’est permis de l’oublier aussi. Quoique jusque-là, j’eusse résisté au désir de lord B*** en refusant d’aller demeurer chez lui, je cédai à ses instances, n’y voyant plus d’inconvénients, et pensant qu’il y en aurait, au contraire, à paraître fuir son hospitalité.

J’employai le reste du voyage à le sermonner sur son désespoir bachique, et à le supplier de renoncer à ce funeste moyen de combattre le dégoût de la vie.

— Aimez-vous donc mieux, disait-il, que je me brûle la cervelle, un jour que le spleen sera trop violent ? Cependant il avouait qu’après avoir eu recours à ce contre-spleen pendant quelques jours, il retombait dans une tristesse plus profonde et contre laquelle il sentait en lui-même moins de forces pour réagir. Il parut surpris et touché de l’intérêt avec lequel je le prêchais.

— Vous avez donc encore de l’amitié pour moi ? me dit-il. Je croyais vous avoir paru si ennuyeux et si nul, que vous quittiez Rome à cause de moi plus encore qu’à cause de Rome. Eh bien, puisque j’ai un ami en ce monde, je tâcherai de ne pas devenir indigne de son estime, et je sens bien que cela m’arriverait si je cédais à la tentation de m’abrutir.

— Il faut faire plus que de tâcher, il faut vouloir.

J’obtins de lui la promesse formelle, et sur l’honneur, qu’il passerait un mois entier sans boire. Je ne pus obtenir davantage.

Nous approchions de Rome, lorsque nous vîmes déboucher devant nous, sur la route, trois cavaliers dans un nuage, non de poussière, il pleuvait toujours, mais de sable liquide soulevé par le pied des chevaux. J’eus quelque peine à reconnaître miss Medora en amazone, mouillée, crottée, jaunie, jusque sur son voile et ses cheveux, par cette bouillie des chemins de traverse où elle semblait clapoter avec délices.