Page:Sand - La Daniella 1.djvu/268

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Je voulus mettre mon cheval au pas pour le ménager. Tartaglia s’y opposa énergiquement.

— Eh ! mossiou, vous n’y songez pas ! La nuit est tout à fait tombée, et c’est ici le plus mauvais endroit, à cause de la montée. Tenez, voilà une fontaine où bien des gens sont restés pour avoir voulu y faire boire leurs chevaux ; et, là, tout le long de ce petit mur, est-ce que vous n’avez pas remarqué, dans le jour, les têtes de mort et les ossements en croix, qui parlent assez clairement ?

Enfin nous arrivâmes à la porte de la ville, et Tartaglia consentit à me parler de lord B***.

— Voyons, mossiou, dit-il, ne vous fâchez pas ! Lord B*** ne sait probablement pas que vous êtes à Frascati. Il s’imagine que vous courez la ville de Rome pour voir les illuminations. Et tenez, nous voici sur une hauteur d’où vous pouvez juger de la beauté du spectacle que vous avez perdu. Retournez-vous, et arrêtez-vous un moment.

Je m’arrêtai. Le spectacle était splendide. Rome brillait dans la nuit comme une pléiade d’étoiles. Dix heures sonnaient à la cathédrale de Frascati.

— Attention ! s’écria Tartaglia enthousiasmé : regardez bien le dôme de Saint-Pierre ; le changement va se faire ! Ah ! l’horloge de Frascati avance d’une minute… de deux… Attendez ! voilà ! Est-ce beau ?

En effet, toutes les lumières qui, à cette distance de treize milles, éclataient de blancheur, changèrent subitement de ton et devinrent d’un rouge étincelant. L’énorme fanal placé au sommet du dôme rayonnait dans une brume couleur d’incendie. Les Romains sont très-friands de ce coup d’œil. Cinq cents ouvriers sont employés, ce jour-là, à le leur procurer ; et, quand le changement n’est pas général et instantané sur tous les points de l’immense édifice, basilique, dôme, colonnades et fontaines, la population siffle à ou-