Page:Sand - La Daniella 1.djvu/269

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trance les machinistes. Aussi ces derniers y mettent-ils tout leur amour-propre, et Tartaglia s’écria philosophiquement :

— À l’heure qu’il est, cinq ou six de ces pauvres diables dégringolent de là-haut pour s’être pressés comme il convenait, car le changement me paraît très-bien réussi, et le public doit être content. Bah ! il n’y a point de beau changement sans cela ! Le dôme est si dangereux !

— À présent, j’ai assez vu les lampions. Dis-moi comment il se fait que je sois ici sur le cheval de lord B***, sans que lord B*** me l’ait envoyé ?

— C’est que vous n’êtes point sur le cheval de lord B***, mais bien sur celui de la Medora. Quant à moi, j’ai choisi le mien parmi ceux des domestiques. J’ai pris celui dont je savais l’allure douce et les jambes sûres.

Pendant quelques instants, Tartaglia me laissa croire que Medora l’avait envoyé courir après moi avec ces chevaux. Enfin, quand j’eus mis pied à terre, il m’avoua la vérité :

C’est moi que j’ai pris sur moi, dit-il, de seller ces chevaux et de leur mettre, aller et retour, une petite douzaine de lieues dans les jarrets. Bah ! de si bonnes jambes ! ajouta, en riant, l’effronté bohémien. Miss Medora trouvera peut-être que son Otello a un peu moins d’ardeur que de coutume ; elle fera un peu moins de folies, voilà tout ! D’ailleurs, il pleuvra, le temps se brouille ; miss ne sortira pas, et Otello se reposera. Allons, mossiou, ne soyez pas fâché. J’ai tout fait pour le mieux : quand j’ai vu qu’au lieu de vous calmer, je vous rendais plus volontaire, et que vous preniez votre porte-manteau pour sortir du palais sans rien dire à personne, je me suis dit, moi : « Ce pauvre garçon ne va pas trouver de voiture, ou, s’il en trouve une, ce sera pire que d’aller à pied ; il sera arrêté sur le chemin ; il est fou, il voudra se défendre ; on me le tuera.