Page:Sand - La Daniella 1.djvu/276

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étrangement ému, que je me voyais perdu, dominé à jamais, si j’acceptais le plaisir d’une nuit à titre d’immolation de toute une vie de chasteté.

Quelques instants de silence me firent croire qu’elle était partie, en effet. J’avais les nerfs si excités, la tête si malade, que je sentis des larmes de dépit ou de regret couler aussi sur mon visage. J’en fus indigné contre moi-même ; je me trouvais absurde et stupide. Je pris mon chapeau et j’allais sortir.

— Où allez-vous ? me dit-elle impétueusement en me barrant le passage dans le grenier qui précède ma chambre.

— Je vas courir les guinguettes de Fracasti, et, comme, tout à l’heure, j’ai vu là beaucoup de jolies figures très-agaçantes, j’espère rencontrer facilement une conquête à qui je ne ferai pas verser de pleurs.

— Ainsi, reprit-elle, voilà tout ce que vous voulez ? Une nuit d’amour sans lendemain ?

— Sans lendemain, je n’en sais rien ; mais sans conditions et sans regrets, à coup sûr, voilà tout ce que je veux !

— Allez ! dit-elle, je ne vous retiens pas !

Et elle s’assit sur la première marche de l’escalier, lequel est si étroit dans ce taudis, que, pour le descendre, il me fallait la repousser de propos délibéré et l’obliger à me faire place. Elle ne pleurait plus, elle avait la voix sèche et l’attitude dédaigneuse.

— Daniella, lui dis-je en la relevant, à quel jeu puéril et douloureux perdons-nous des heures qui nous sont comptées et qui ne reviendront peut-être plus ? S’il est vrai que vous m’aimiez, pourquoi ne pas prendre l’amour que je peux vous donner et qu’il dépend de vous de rendre d’un poids si léger dans votre vie ? Soyez sincère si vous êtes folle, et soyez forte si vous êtes sage. Partez ou restez ; mais ne me faites pas souffrir et divaguer plus longtemps.