Page:Sand - La Daniella 1.djvu/29

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classiques. Il m’est venu une idée en lisant tes lettres, c’est que tu pourrais bien avoir quelque talent de rédaction.

— Être homme de lettres ! moi ? Non ! je n’ai fait qu’entrevoir et deviner le monde et la vie sociale. Rédiger n’est pas écrire, il faut penser, et je suis un homme de rêverie ou un homme d’action ; je ne suis pas un homme de réflexion. Je conclus trop vite, et, d’ailleurs, je ne sais conclure que par rapport à moi-même. La littérature doit être l’enseignement direct ou indirect d’un idéal. Songez donc que je n’ai pas trouvé le mien !

— N’importe ! veux-tu me faire une promesse sérieuse ?

— Vous avez le droit d’exiger tout ce qui dépend de ma volonté !

— Eh bien, tu feras pour moi, pour moi seul, si tu veux, car je te promets le secret, si tu l’exiges, une relation détaillée de ton voyage, de tes impressions, quelles qu’elles soient, et même de tes aventures, s’il t’arrive des aventures. Et cela pendant un an, sans lacune de plus de huit jours.

— Je vois pourquoi vous me demandez cela. Vous voulez me forcer à m’examiner dans le détail de la vie et à me rendre compte de ma propre existence.

— Précisément. Je trouve que, sous l’empire de certaines résolutions prises à des intervalles assez éloignés et rigidement observées, tu oublies de vivre, et tu restes dans une attente perpétuelle qui te prive des petits bonheurs de la jeunesse. En te rendant mieux compte de tes vrais besoins et de tes légitimes aspirations, ta arriveras insensiblement à des formules plus sages.

— Vous me trouvez donc fou ?

— C’est l’être toujours que de ne l’être jamais un peu.

— Je ferai ce que vous m’ordonnerez. Cela me sera peut-être bon ; mais, si, à force de caresser mes propres pensées, j’allais devenir plus fou que vous ne souhaitez ?