Page:Sand - La Daniella 1.djvu/313

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sentant vaguement épris d’elle, je vous traçai son portrait à Rome, n’osai-je pas prononcer qu’elle était jolie ? Comment, dans ce temps-là, pouvais-je dire que Medora était remarquablement belle ? Dans mon souvenir, à présent, Medora est laide et ne peut être que laide, puisqu’en elle tout est l’opposé de ce chef-d’œuvre de l’art divin que j’ai là dans le cœur et dans les yeux.

Ma montre marqua trois heures. Son vieux bruit sec était le seul bruit saisissable autour de moi. La sonorité s’était faite au dehors, la pluie avait cessé. Quel fut donc mon étonnement d’entendre, comme une mélodie aérienne passant dans l’air, au-dessus du tuyau de la cheminée, le son d’un instrument qui me parut être celui d’un piano ! Je prêtai l’oreille, et je reconnus une étude de Bertini que l’on sabrait avec un aplomb révoltant. Cela avait quelque chose de si étrange et de si follement invraisemblable à pareille heure et en pareil lieu, que je crus être halluciné. D’où diable pouvait venir cette musique ? Bile m’arrivait trop nette pour être supposée partir du dehors ; et, d’ailleurs, à un mille à la ronde, il n’y a pas une habitation que l’on puisse supposer en possession d’un piano et d’un pianiste.

Étais-je trompé par le son de l’instrument ? Celui-ci provenait-il d’un de ces petits cembali portatifs que les artistes bohémiens promènent sur leur dos de porte en porte ? Mais, si cela venait du dehors, à qui donnait-on cette aubade par un temps pareil et en plein désert ? D’ailleurs, c’était un piano, un véritable piano, assez faux et assez sec, mais piano s’il en fut, avec toutes ses octaves et ses deux pédales.

— Il y a de quoi devenir fou ici, dis-je à Daniella, que l’agitation de ma surprise avait éveillée. Écoute, et dis-moi si cela est concevable !

— Cela ne peut venir, dit-elle après avoir écouté, que du