Page:Sand - La Daniella 1.djvu/335

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saient, les joies mélancoliques des prisonniers, le besoin d’entendre le son de la voix humaine et de contempler les ébats des êtres libres ; mais j’ai compris cela seulement par la réflexion, car je suis le captif le plus docile et le plus satisfait qui existe. Je resterais certes ici toute ma vie avec joie dans les conditions où je m’y trouve. La pensée que Daniella doit infailliblement arriver à une heure fixe fait pour moi de l’isolement une volupté perpétuelle. Je suis là du matin au soir, dans l’attente d’un rendez-vous d’amour, dont je savoure le souvenir en même temps que l’espérance. Ma passion a ses heures de profond recueillement. C’est comme une idée religieuse méditée dans la solennité d’une vie d’anachorète.

J’écoute aussi avec plaisir des paroles lointaines que m’apportent les bouffées du vent, et j’aime à interpréter les situations auxquelles ces lambeaux de conversation peuvent se rapporter. Le chemin des Camaldules à Frascati passe très-près d’ici, et j’entends les bouviers crier après leurs bœufs, et les paysans s’entretenir ensemble à voix haute sur leurs chars à quatre roues. C’est, chaque fois, un petit événement pour moi, car ces chemins sont peu fréquentés, et ces bruits rares rompent la monotonie des bruits continus de la cascade et des girouettes.

Mais ce qui m’intéresse davantage, c’est ce qui peut arriver à mon oreille et à ma vue du côté de la villa Taverna. La végétation est si épaisse autour de cette résidence, que je n’en aperçois que les toits. Aussi Daniella a-t-elle imaginé de monter à une fenêtre en mansarde d’où je peux voir le point blanc de son fichu de tête, et distinguer le signe qu’elle me fait à midi, en allant sonner le goûter des gens de la maison. Elle a cassé exprès la corde pour avoir le prétexte d’aller dans ce grenier secouer la cloche. Elle aime à pouvoir m’avertir elle-même de l’heure de ma collation.