Page:Sand - La Daniella 1.djvu/59

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plaisir, pour qui n’en a pas l’habitude, d’entendre, de voir et de sentir le flot, même dans les ténèbres. Je dis voir, parce que les sillages phosphorescents dessinent mille arabesques changeantes autour des flancs du navire. On s’hébète à regarder cela, il me semble que je ne m’en lasserais jamais.

Je m’étais assoupi ayant froid, je me suis éveillé ayant chaud. Le soleil brillait déjà, le soleil d’Italie ! C’est lui que j’ai salué le premier, et ensuite j’ai été libre de saluer le Gigante. Vous connaissez par les gravures et par le daguerréotype cette riante entrée du port de Gênes, cette colonnade des jardins du palais Doria, et cette statue colossale (qui n’est pas celle d’André) qui, de la colline où elle se tient depuis si longtemps sur ses grosses jambes, semble, d’un air bonhomme, vous souhaiter la bienvenue. Je vous ferai donc grâce de cette description. Le premier aspect de la ville a, vous le savez, plus d’étrangeté que de beauté ; mais c’est une étrangeté souriante ; et, ici, le moyen âge n’a rien laissé d’imposant, rien de lugubre non plus.

On vous fait attendre le débarquement pendant deux mortelles heures, et ensuite, pour vous permettre de passer une journée sur le territoire sarde, on vous rançonne sous prétexte de visa, sans compter le temps qu’on vous prend encore à vous faire attendre le bon plaisir de la police et des ambassades. L’accueil n’a rien d’hospitalier, je vous jure, pour les pauvres diables. Enfin, il m’a été possible de pénétrer dans la ville et d’y chercher, à tout hasard, un coin pour déjeuner. Mon camarade Brumières n’avait pas voulu débarquer, sa princesse grecque ne débarquant pas. Je l’ai donc laissé tout le jour sur le Castor, occupé à tâcher de renouer la conversation avec l’objet de ses pensées et à tirer les vers du nez à ses domestiques. Et puis il est un peu comme le harpiste, il méprise Gênes, il méprise tout ce qui n’est pas Rome et les Sept-Collines.