Page:Sand - La Daniella 1.djvu/86

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connaissance moqueuse, ou une acceptation maligne du service rendu. Peut-être la digestion d’un si copieux dîner m’a-t-elle embrouillé la cervelle. Je n’ai rien compris à son air, à son regard, à son sourire, à ses éloges exagérés. Quand elle a vu que j’en étais plus étourdi que flatté, elle m’a laissé tranquille et s’est remise à causer peinture avec Brumières. Je la soupçonne de faire des ruines roses et bleues à l’aquarelle.

Quant à lord B***, ses remercîments m’ont été plus agréables, parce qu’ils m’ont paru plus sincères. Comme je lui faisais observer qu’avec sa présence d’esprit et sa manière d’employer le bâton, il se serait probablement tiré d’affaire sans moi :

— Non, me dit-il, je ne crains pas un ou deux hommes, j’en crains trois ou quatre. Je n’ai que deux mains et deux yeux. Je sais que trois de nos adversaires n’en valaient peut-être pas un ; mais le quatrième, celui dont vous avez commencé par me débarrasser, en valait peut-être quatre.

Je répliquai que je n’y avais pas grand mérite, l’ayant abattu par surprise. Je ne suis pas fort, ajoutai-je. Je n’ai jamais eu l’occasion de savoir si je suis brave. Pour la première fois de ma vie, j’ai reconnu la nécessité de la traîtrise, et je n’en suis pas plus fier pour cela.

— C’est répondre en homme modeste, reprit lord B***, en lançant à sa nièce un regard sévère qui me confirma dans la pensée du mauvais vouloir de la jeune personne à mon égard. Mais, moi, poursuivit-il en me regardant, je sais que je suis fort et hardi, et que pourtant, sans vous, je ne me serais pas défendu.

Oh ! shame ! murmura lady Harriet.

— Ma femme dit que c’est une honte, reprit-il. Les femmes trouvent tout naturel qu’on se fasse égorger