Page:Sand - La Filleule.djvu/101

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Je fis beaucoup de réflexions dans ma longue course pour revenir à pied chez moi. Schwartz, qui m’attendait toujours jusqu’à minuit, me sauta au cou.

— Cher enfant, cher ami ! s’écria-t-il dans sa langue, que j’étais arrivé à connaître passablement, grâce à lui ; mon violon, mon cher violon, tu sais ! que je voulais vendre cinq cents francs, et dont les brocanteurs ne voulaient pas me donner deux louis, on me l’achète mille francs !

— Qui cela ?

— Devine.

Et, sans songer à ce qu’il disait, il me remit une lettre que madame Marange lui avait envoyée dans la soirée, sans me rien dire, et qui lui demandait le précieux instrument pour son fils Julien, en lui envoyant un billet de banque.

Puis en post-scriptum, elle ajoutait :

« Voilà mon fils qui est forcé tout d’un coup de partir pour une de nos terres. Comme il pourrait bien y passer quelque temps, il vous prie de lui garder ce violon jusqu’à ce qu’il vous le redemande, et de le jouer souvent pour l’entretenir. »

Ces femmes étaient bonnes et d’une délicatesse exquise. Je leur avais dit que Schwartz cherchait à vendre son violon, mais que, le jour où il en viendrait à bout, il regretterait amèrement le fidèle compagnon de toute sa vie. Elles le lui payaient donc avec l’intention bien évidente de trouver prétexte sur prétexte pour l’empêcher de le livrer.

Schwartz était fier, mais facile à tromper. Il ne se doutait pas de la reconnaissance qu’il devait à ces âmes ingénieuses dans l’art de rendre service. Mais il était sûr de son lendemain et heureux de ne pas se séparer de son violon. Il en joua toute la nuit.

J’avais espéré me sentir calme. Je ne me sentis que fort. Schwartz m’empêcha de dormir : je pleurai ; je pensais à Anicée comme si elle était morte. Je fus exact au rendez-vous