Page:Sand - La Filleule.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même, réveillé en sursaut par la visite des deux femmes, leur avait tout avoué sans s’en douter.

Je sentais la pitié de la mère peser sur moi comme une humiliation, l’inquiétude de la fille comme un doute : la première devait se dire que j’étais trop obscur, trop pauvre, pour devenir jamais un égal ; la seconde, que je n’avais pas assez de courage physique et moral pour devenir un appui. La fatalité de mon malheur et le sentiment de ma faiblesse me navrèrent. Je m’étais senti assez fort naguère pour être le fils, le frère et l’ami de ces deux femmes, et voilà qu’elles m’apportaient chez elles comme un malade et me donnaient à manger comme à un pauvre.

Ces réflexions succédèrent rapidement à mon atonie, et je fondis en larmes, nouvelle preuve de faiblesse qu’il me fut impossible de leur dérober.

Madame Marange me prit la tête dans ses mains avec une bonté indicible, tandis qu’Anicée prenait les miennes et les caressait presque comme celles d’un enfant que l’on veut consoler ; puis, tout en me dorlotant de la sorte, elles dirent au chevalier, qui ne devinait pas comme elles ma pensée, que c’était une crise nerveuse dont il ne fallait pas s’étonner après mon évanouissement, lequel n’était lui-même qu’un état nerveux.

J’eus bien de la peine à retenir mes sanglots, je suffoquais. Madame Marange, craignant une crise plus forte, sortit pour me chercher de l’éther. Le chevalier prit une bougie pour l’accompagner. Schwartz, que ses robustes instincts physiques dominaient toujours un peu, et qui mangeait, comme les loups, un jour sur quatre, avait la vue plongée dans son assiette. Anicée, qui était restée debout près de moi, passa ses bras autour de ma tête, l’attira contre son cœur avec une effusion angélique, et mit son mouchoir sur mes yeux pour essuyer mes larmes. Ma fierté fut vaincue par cette sainte caresse. Je sentis la sœur et la mère dans le sein de la femme, ces types