Page:Sand - La Filleule.djvu/113

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sacrés qu’aucun autre genre d’amour n’efface dans les âmes complètes. Mes larmes coulèrent plus douces ; elles se tarirent dans la batiste embaumée de ce mouchoir, qu’elle me laissa garder, couvrir de baisers et cacher dans mon sein quand sa mère rentra.

On me trouva mieux. Le bon chevalier répéta à plusieurs reprises : « Ça ne sera rien, » comme on dit à un enfant qui s’est fait une bosse à la tête. Madame Marange me prescrivit de manger, prétendant que mon médecin avait dû me mettre à la diète, parce que c’était la mode, mais que l’abus de ce système tuait les malades plus que le mal. Chaque ménagement inventé par elle pour sauver mon orgueil me révélait sa bonté et mon humiliation. Mais déjà je ne sentais plus l’une et je m’abandonnai à l’autre. Je fis un effort pour lui obéir ; mais j’avais une autre organisation que celle de Schwartz, et plusieurs jours se passèrent avant que je pusse manger sans dégoût et sans souffrance.

Il était deux heures du matin quand je me rendis compte du temps écoulé. Je voulus me retirer avec Schwartz. Madame Marange nous dit que, puisque nous devions partir tous deux avec elle et sa fille à dix heures le lendemain, nous coucherions, ainsi que le chevalier, dans le pavillon de son jardin. On avait tout préparé pendant le souper. J’étais vaincu par la fatigue ; je dormis quelques heures, et quand, selon mon habitude, je m’éveillai au jour, le chant des merles et des pinsons qui peuplaient le jardin me causa la douce illusion de la campagne. Ma tête était encore si faible, que je fus quelque temps à comprendre où j’étais réellement, et quelles circonstances imprévues m’y avaient amené.

Alors ma honte me revint, en dépit du mouchoir d’Anicée, qui était là sous mon chevet, et que je pressai sur mon visage comme pour en effacer la rougeur. Mais comment ne pas rougir de rentrer ainsi chez elle en nécessiteux, moi qui, en vou-