Page:Sand - La Filleule.djvu/150

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en réalité. Nous étions emportés comme dans un rêve de bonheur champêtre, où tout était nous-mêmes.

Je conduisis mes deux amies dans la chambre que ma mère avait habitée, et que, dans mon précédent voyage, j’avais fait rafraîchir et remeubler avec soin, comme du temps où, petit enfant, je l’habitais avec elle. La joie de voir Anicée dans cette chambre, devant reposer à la même place où j’avais dormi sur le sein de ma mère, me rendit délicieux un passé qui, jusque-là, m’avait déchiré l’âme. L’horreur des regrets s’effaça entièrement pour donner place à toutes les tendresses, à toutes les dévotions du souvenir. Mon cœur se fondit en douces larmes, et je tombai involontairement à genoux. Anicée me comprit et fut heureuse. Sa mère, attendrie et vaincue, prit nos mains dans les siennes, en nous disant :

— Oui, je le vois et je le sais : il est des affections si belles et si pures, qu’elles doivent tout vaincre ! Dieu soit avec nous, quoi qu’il arrive !

On s’étonna, on s’émerveilla beaucoup dans mon village de l’arrivée de ces belles dames. Malgré la simplicité de leur toilette et de leurs manières, on sentait instinctivement la distinction de ces êtres supérieurs.

Quand on les vit entrer en pourparler avec les hommes d’affaires et visiter la propriété de Briole, on ne fit plus de commentaires fantastiques sur leur présence chez moi ; car, sur l’article des intérêts matériels, les campagnards deviennent sérieux. On désira que l’acquisition fût faite par ces bonnes personnes qui ne paraissaient pas vouloir humilier le monde, et qui plaisaient déjà à toute la paroisse.

Notre séjour s’y prolongea d’un mois, et madame Marange se décida à acheter Briole. C’était une terre de cinq cent mille francs qu’elle payait comptant, ce qui fit grand bruit dans le pays. Alors personne n’osa plus penser ce qu’on avait été fort tenté de publier au commencement, à savoir que la jeune