Page:Sand - La Filleule.djvu/176

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sans les connaître leur parlent comme s’ils étaient mari et femme et n’hésitent pas à me croire leur fille.

Leur fille ! Ah ! je voudrais l’être ! mamita ne m’aimerait peut-être pas mieux, mais mon parrain ne serait pas si clairvoyant sur mes défauts, et, s’il s’imaginait que je lui ressemble, il me trouverait belle. Je ne sais pas pourquoi j’ai tant d’amour-propre avec lui ! Quand grand’mère me réprimande, cela m’impatiente, voilà tout ; quand c’est mamita, cela m’afflige ; quand c’est lui… cela me vexe et m’humilie.

Qu’est-ce que ça me fait, après tout, de ne pas être pour lui, comme pour mamita, une petite merveille ? Il n’est ni mon père ni mon futur mari, et voilà les deux seuls hommes à qui je sois forcée de plaire !


22 septembre.


. . . . . . . . . . . . . . .

M. Roque et M. Clet sont arrivés ce matin. Quelle drôle de figure que M. Roque, avec ses lunettes d’or qui tombent sur son nez à chaque mouvement qu’il fait ! Comme il est brusque, gauche, anguleux, grand, maigre, avec des habits trop larges, et des pieds si longs, des souliers si baroques ! Je ne peux pas le regarder sans rire. Heureusement, il ne s’en aperçoit pas. Je crois que plus il est savant et spirituel, plus je le trouve ridicule. Mon parrain est cependant plus savant que lui, à ce qu’on assure, et, quant à de l’esprit, il en a cent fois davantage, je m’en aperçois bien. Pourtant jamais personne ne trouvera M. Rivesanges plaisant ni bizarre. Je voudrais bien l’entendre jouer du piano. Je ne m’y connaissais pas autrefois. Il me semble qu’à présent cela me ferait un grand plaisir. Il ne veut pas me faire plaisir apparemment ; car il m’a refusé net hier, et puis il a ajouté en se tournant vers mamita :

— À moins, pourtant, que vous ne l’exigiez !