Page:Sand - La Filleule.djvu/187

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dix minutes de trajet. Au bout de la prairie, où le plateau s’abaisse assez brusquement, mes pas avaient creusé, avant le grand voyage dont j’arrive, une sorte d’escalier sur la coulée rapide. J’ai trouvé à mon retour la rainure comblée et mon doux chemin de gazon prolongé en pente moelleuse jusque sous les premiers chênes de la réserve.

… J’ai fait en cet endroit une rencontre singulièrement amenée. Je passais vite, prenant plaisir à frôler les feuilles sèches qui commencent à joncher la terre, lorsque je me suis vu comme enveloppé d’un nuage bleu et parfumé. C’était une pluie de violettes effeuillées qui tombait d’en haut sur ma tête. J’ai regardé au-dessus de moi ; j’ai vu à vingt pieds au moins, sur une longue branche qui forme comme un pont au-dessus du sentier, quelque chose qui d’abord m’a paru inexplicable. C’était un pan d’étoffe flottante, et puis un bras humain qui se croyait caché dans les feuilles et qui s’enlaçait à la branche pour retenir un corps, un être, que la branche même supportait et m’empêchait de voir. Du point où j’étais placé, j’ai reconnu pourtant bientôt ce petit bras mince, assez rond, très-joli quoique très-brun, un vrai bras d’almée, souple, faible et fort gracieux. Quand la main qui secouait le tablier plein de violettes eut fini son aspersion, elle se hâta d’embrasser aussi la branche, et le feuillage, un instant écarté, redevint immobile. La personne était redevenue invisible.

Je ne crus pas devoir remarquer cet hommage de ma filleule. L’adolescence de certaines organisations est bizarre. L’imagination est malade d’une inquiétude qui s’ignore elle-même et qui se porte au hasard sur le premier objet venu. Anicée ne comprend pas cette vague et pénible agitation qu’elle n’a jamais ressentie. Je ne veux pas la lui faire deviner. Elle s’en effrayerait plus que de raison. Un fait naturel, si connu, si passager, l’engouement d’une fillette pour son tuteur, ne doit ni étonner ni tourmenter sérieusement. Le mieux est de