Page:Sand - La Filleule.djvu/190

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du sol. Morenita franchit cette distance en se laissant glisser comme une couleuvre sur la bruyère. Elle se releva, rattacha ses cheveux dénoués, débarrassa ses vêtements de la mousse qui s’y était attachée, et partit comme une flèche dans la direction du château.

Je m’épluchai à mon tour ; je ne voulais pas qu’un seul pétale de ses violettes restât dans mes cheveux ni sur mes habits. Je la laissai prendre de l’avance et rentrai sans la rencontrer.

À dîner, elle m’a boudé. Je n’y ai pas pris garde. Le soir, elle a passé à une gaieté nerveuse assez bruyante. Elle a été plus taquine avec Clet ; elle l’eût blessé tout à fait si je ne fusse intervenu. Je l’ai un peu grondée. Elle m’a regardé avec des yeux ardents de colère ; puis, tout à coup, c’était une tendresse extatique. Anicée m’a presque grondé à son tour de ma sévérité. J’ai tourné le tout en plaisanterie. Morenita nous a dit bonsoir. Comme de coutume, elle est venue me présenter son front. Il était humide et brûlant. Je me suis essuyé les lèvres en me plaignant de cette transpiration des enfants qui résiste à la fraîcheur du soir. Elle a été blessée et humiliée au dernier point. Il y avait presque de la haine dans le reproche de ses yeux noirs et hautains. Allons, j’espère que c’est le dernier accès de cette fièvre de croissance, et que le galop de Canope la consolera demain.

Pauvres enfants ! tardifs ou précoces, faibles ou forts, il vous faut accomplir tous les développements de votre première existence à travers des souffrances particulières. Ces souffrances changent avec l’être qui se transforme ; mais, de phase en phase, de fièvre en fièvre, ou de langueur en langueur, la vie n’est qu’un travail ascendant jusqu’à l’heure de maturité où commence le travail inverse de la dissolution de l’être.

Faisons l’âme forte, puisque le corps est si faible, et la