Page:Sand - La Filleule.djvu/203

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beaucoup de grâce la permission de m’embrasser. J’ai été fort surprise ; j’hésitais, je regardais mamita. Celle-ci m’a dit :

— Madame a connu des personnes de ta famille et s’intéresse à toi réellement. Remercie-la de la bonté qu’elle te témoigne.

La belle dame m’a tendu sa belle main ; j’ai encore jeté un coup d’œil furtif sur mamita, mais elle ne m’a pas fait signe de la baiser. Je me sens bien d’être un peu fière ; et, ne me souciant pas de faire plus de frais qu’il n’en faut, j’ai présenté mon front, qu’on a baisé avec assez de franchise, à ce qu’il me semble.

Alors nous avons été bonnes amies. Cette dame a l’aplomb et le ton familier des personnes du grand monde. Nous n’en voyons pas beaucoup ; mais celles qui viennent chez nous de temps en temps ont toutes un air de famille. Pourtant celle-là est Espagnole. Sa physionomie et son accent lui donnent une certaine originalité.

Comme elle me paraissait un peu indiscrète dans sa manière de m’interroger sur mes goûts et mes plaisirs, j’ai pris mon ouvrage pour rompre la conversation ; mais elle paraissait décidée à me faire la cour. Elle a rapproché sa chaise de la mienne, et, regardant mon crochet, elle m’a demandé si je savais faire un certain point que je ne connaissais pas. Elle a pris ma soie et mon moule pour me l’enseigner, louant avec exagération l’adresse avec laquelle j’apprenais à le faire. Pendant qu’elle démontrait, je m’avisai de regarder ses bracelets. Elle me les passa tous dans les bras, disant que je les verrais mieux. Je me suis laissé faire, comptant les lui rendre, et pensant qu’elle me prenait pour un joujou. Comme cette dame est assez potelée, j’avais de ses bracelets jusqu’au coude.

Nous étions dans cette espèce de camaraderie improvisée, quand on a demandé mon parrain pour la seconde fois. Il est sorti et est rentré avec un beau et grand jeune homme qu’on