Page:Sand - La Filleule.djvu/204

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a appelé plusieurs fois, par mégarde, je pense, monsieur le duc. Son premier mouvement a été de saluer mamita et bonne maman, auxquelles il a baisé la main. Puis, apercevant sa femme qu’apparemment il ne s’attendait pas à trouver là, il a fait une exclamation de surprise et a paru embarrassé. Je ne suis pourtant pas sûre que tout cela ne soit pas une comédie. Est-ce pour moi qu’elle a été jouée ? Je ne comprends pas pourquoi.

La duchesse, après lui avoir tendu la main, qu’il a reçue presque à genoux, ce qui m’a encore étonnée passablement, me l’a présenté comme son mari, en ajoutant que, lui aussi, avait connu mes parents et prenait à moi un grand intérêt. Puis, comme le duc me saluait et me regardait d’un air attendri, elle m’a poussée vers lui en me disant de l’embrasser. J’ai rougi beaucoup. Je n’ai pas l’habitude d’embrasser les hommes, et mon parrain m’a bien fait sentir que je n’étais plus assez petite fille pour prendre cette familiarité, même avec lui.

Le duc, qui paraissait plus troublé que moi, a pris mes deux mains dans les siennes et les a portées à ses lèvres en me disant :

— Ma chère miss Hartwell, j’ai l’âge qu’aurait votre père et j’ai été son ami. J’ai peut-être le droit de vous donner la bénédiction qu’il vous donnerait en vous voyant si charmante et si intéressante. Mais je veux vous inspirer de la confiance avant de vous demander un peu d’amitié. Les présentations solennelles sont toujours gênantes à votre âge : permettez-moi de causer avec vous, et faites-moi taire si je vous importune.

Je me suis sentie tout à coup si à l’aise et si complétement gagnée, que j’ai regretté de ne pas l’avoir embrassé. Il ne m’aurait pas repoussée comme fait mon parrain, lui !

Mamita nous a aidés à nous mettre en rapport plus vite, en lui disant, avec une modestie maternelle, que je comprenais