Page:Sand - La Filleule.djvu/212

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terrible, bizarre, et qui, certes, ne pouvait pas se renouveler.

— Le monde l’ignore, ajouta-t-il ; mais nos amis, nos serviteurs le savent…

Il allait lui expliquer par quelles circonstances étranges et cruelles il avait été forcé de tenir son mariage secret jusqu’à ce jour ; mais Morenita ne l’entendait plus : elle était tombée sur un fauteuil, elle était évanouie.

Stéphen, qui avait réussi à cacher à sa femme la cause des bizarreries de leur fille adoptive, et qui avait choisi pour cette conversation avec elle un jour où Anicée était sortie avec sa mère, secourut l’enfant sans vouloir appeler les domestiques. Elle n’eut pas une larme, pas une plainte, pas une réflexion, et se renferma dans un morne silence. Il essaya alors de lui raconter succinctement sa vie, et comment Julien, le frère d’Anicée, avait failli périr dans un duel dont il était la cause involontaire et fatale. Le jeune homme n’avait pu entendre dire que sa sœur allait faire, à trente ans, la folie d’une mésalliance inouïe ; lui, qui ne croyait pas à l’amour d’Anicée et de Stéphen, et qui n’y eût rien compris, il avait souffleté un de ceux qui se livraient à ces commentaires et qui répandaient dans son monde de sanglantes critiques sur l’absurde passion de sa sœur, sur l’hypocrite ambition de Stéphen, sur la tolérance philosophique de la mère. Il s’était battu, il avait été grièvement blessé. On l’avait sauvé à grand’peine ; mais cette catastrophe avait rendu impossible un mariage officiel qui, chaque jour, eût exposé Julien à des périls semblables ; car il persistait à estimer Stéphen et à croire sa sœur innocente de la fantaisie qu’on lui attribuait.

Devant de tels obstacles, il avait fallu tromper ce monde injuste et méchant, ce frère généreux mais obstiné dans ses préjugés. Stéphen et Anicée s’étaient mariés en pays étranger, sous les yeux de madame Marange et du chevalier de Valestroit, lequel était mort peu de temps après. Roque, Clet,