Page:Sand - La Filleule.djvu/213

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Schwartz et les vieux domestiques avaient gardé fidèlement le secret de cette union. Julien s’était marié aussi. Il habitait le midi de la France. Il témoignait toujours la plus vive affection à sa sœur, la plus haute estime à Stéphen, et commençait à leur écrire que, toute réflexion faite, il regrettait qu’ils ne fussent pas unis. Le monde aussi commençait à dire la même chose. C’est que Stéphen avait conquis l’admiration de tous par des travaux d’un mérite reconnu, par une attitude constamment digne, par une conduite toujours noble et généreuse. Il allait publier la relation de son voyage scientifique. Si un succès sérieux couronnait l’œuvre de sa vie, il espérait pouvoir bientôt déclarer son mariage, apporter à sa femme autant d’honneur qu’il lui eût attiré de blâme et d’ironie en agissant prématurément.

Mais, quelque liberté que cette déclaration dût apporter dans leurs relations officielles, Stéphen, satisfait d’être légitimement et indissolublement uni à la seule femme qu’il eût jamais aimée, fier de pouvoir enfin lui donner le nom que sa mère avait porté, était décidé cependant à ne pas faire régulariser son mariage par les lois civiles de la France. N’ayant pas d’enfants, cette régularisation ne pouvait servir qu’à lui assurer la jouissance des biens de sa femme, et c’est à quoi il ne voulait jamais descendre. Anicée elle-même eût rougi de l’y faire songer. Stéphen était par lui-même riche au delà de ses besoins, qui étaient restés fort simples. Il aimait à habiter, en Berry, la maison de sa mère, et, à Paris, un modeste appartement où il pouvait recevoir ses amis sans être forcé de les éblouir d’un luxe qui n’eût pas été sien. D’ailleurs, il avait pris une si douce habitude de se regarder comme l’amant de sa femme, ils étaient si sûrs l’un de l’autre, la séparation de chaque jour rendait la réunion de chaque lendemain si douce, le mystère redore d’une si douce chasteté les relations trop souvent indiscrètes du mariage, il écarte si