Page:Sand - La Filleule.djvu/216

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à Stéphen une sorte de courage sombre et soutenu. Pas un mot de sa bouche, pas une expression de son visage n’avait trahi le secret de son âme, même dans quelques moments de délire que lui avait donné la fièvre. Elle avait pris une résolution inébranlable.

Un jour, Morenita reçut une lettre ainsi conçue, qui se trouva dans un envoi de fleurs de la duchesse :


« Si vous voulez savoir tous les secrets qui vous concernent, et que jamais ni le duc, ni sa femme, ni votre mamita, ni son mari ne vous révéleront, donnez un rendez-vous à la personne qui vous écrit ces lignes à l’insu de tous, et qui ira prendre votre réponse, cette nuit, dans la branche du sapin qui dépasse, en dehors, la crête du mur de votre jardin. Il n’y en a qu’une. »


Morenita, chose étrange à son âge et avec l’éducation qu’elle avait reçue, n’hésita pas un instant sur ce qu’elle voulait faire. La nature, si longtemps et si patiemment combattue en elle par les exemples et les leçons d’Anicée, reprenait tous ses droits sur cette organisation inquiète, téméraire et aventureuse. Rien ne peignait mieux la situation de ces deux femmes que le mot vulgaire du vieux Schwartz, lorsqu’il parlait d’elles avec Stéphen :

— C’est une poule, disait-il, qui a couvé un œuf de canard ; et de canard sauvage, encore !

En effet, le moment approchait où la pauvre poule, éperdue sur la rive, allait voir la progéniture étrangère se lancer dans la première eau courante qui tenterait son insurmontable instinct.

Morenita prit le costume qu’on lui avait fait faire pour ses leçons de gymnastique, leçons qui, par parenthèse, n’avaient pas atteint leur but, qui était de la faire grandir. Elle attendit