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VIII


Morenita parlait en espagnol avec une sorte d’éloquence sauvage que nous renonçons à traduire. Grande diseuse de riens et amoureuse de puérilités folles, quand elle redevenait petite fille, elle trouvait, dans l’émotion de la colère ou du chagrin, une abondance étrange de sentiments exaltés et de paroles acerbes. Rosario eut un instant peur d’elle. Ce n’est pas qu’il ne fût de force à lui tenir tête dans l’occasion : mais il se sentait épris d’elle d’une façon tout à fait insolite dans sa vie déjà usée et blasée, et il se demandait, lui qui avait eu tant de succès vulgaires et faciles, s’il triompherait jamais de cette âme mobile et violente dans laquelle il sentait enfin son égale.

— Morenita, lui dit-il en se mettant à genoux auprès d’elle et en prenant ses petites mains dans les siennes, vous êtes une enfant, une enfant gâtée, qui plus est. Vous reprochez à votre destinée, à vos parents, à ceux qui vous ont élevée, des choses pour lesquelles vous devriez bénir le hasard à toute heure. Je ne me plains de rien, moi qui n’ai pas été choyé et adoré comme vous du ciel et des hommes. Je suis plutôt reconnaissant envers votre parrain et ses amis, qui m’ont jeté le pain de la pitié et qui voulaient me condamner au travail mécanique, s’imaginant que cela était encore trop bon pour moi. Je n’ai jamais connu ni caresses ni tendres paroles. M. Stéphen était assez doux et ne refusait pas de me faire donner les connaissances élémentaires ; le père Schwartz, que j’ai suivi