Page:Sand - La Filleule.djvu/232

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Elle ne doutait plus, elle croyait sentir la voix du sang, elle subissait une influence qui plaisait à son imagination et dont les promesses la jetaient dans un monde nouveau de rêves et d’étonnements.

Quand elle se retrouva seule, elle fut quelque temps encore sous l’empire de cet enivrement, jusqu’à ce que, couchée dans son petit lit, sous son édredon couleur de rose, et bercée par le souffle paisible et régulier de la bonne qui dormait dans une chambre voisine, elle tâcha de résumer ses idées et de voir clair dans sa situation.

La pensée de quitter Anicée s’était présentée cent fois à son esprit depuis le jour où elle avait entendu dire à Stéphen qu’il n’avait jamais aimé, qu’il n’aimerait jamais une autre femme que celle à laquelle il était uni pour la vie. Depuis ce jour, Morénita avait ressenti des accès de jalousie bien voisins de la haine. Elle les avait combattus ; mais il s’était fait en elle un détachement profond de la plus précieuse, de la meilleure affection de sa vie : du moins, elle le croyait ainsi, car les symptômes de l’aversion étaient en elle. Elle ne pouvait plus embrasser Anicée sans pâlir ou sans rougir. Elle sentait le feu de la colère monter à son front ou le froid du désespoir le couvrir d’une sueur glacée. Inhabile à se résumer, malgré les efforts de son intelligence, parce que l’inconséquence de sa nature l’arrêtait à chaque instant, il lui restait tout juste assez de religion dans l’âme pour qu’elle désirât fuir sa mère adoptive plutôt que d’arriver à la détester.

L’espèce de perversité de cœur du gitanillo l’effraya bien un peu ; mais il y avait dans le sien un écho affaibli de cette personnalité, sinon de cette ingratitude. Elle se rassura à ses propres yeux par la pensée de ce qu’elle souffrait, de ce qu’elle aurait à souffrir encore dans sa famille adoptive, torturée par une passion qu’elle ne savait pas combattre depuis le jour de délire où elle l’avait manifestée.