Page:Sand - La Filleule.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caresse si respectueuse et dans un regard si passionne ! Ah ! toutes les mères devraient être veuves ou vieilles comme madame Marange !

Je ne suis pourtant pas jalouse des amis de la duchesse. Je ne l’aime pas, la duchesse ; elle ne m’aime pas non plus. Devant le monde, ce sont des chatteries charmantes. Quand nous sommes tête à tête, nous n’avons plus un mot à dire, et tout ce que nous pouvons faire pour dissimuler notre antipathie naturelle, c’est de nous occuper de chiffons et de projets de toilette.

Pourquoi fait-elle semblant de me chérir ? pourquoi m’a-t-elle attirée et amenée ici ? Évidemment, je lui sers à quelque chose. Gare à elle quand je l’aurai découvert ou deviné ! je lui ferai sentir qu’on ne se joue pas impunément de la bohémienne !



JOURNAL DE STÉPHEN


8 janvier.

Ce soir, Anicée m’a demandé si j’avais renoncé à mon projet de voyage en Italie, et si je ne croyais pas que cela ferait du bien à sa mère, qui est souffrante.

— J’avoue que pour mon compte, a-t-elle ajouté, je serais contente de changer d’air et de me retrouver tout à fait seule avec vous deux.

— Toujours plus seule ! lui ai-je dit. Tu ne crains pas de t’effrayer un jour de cet éloignement de toutes choses ?

— Non, mon ami, a-t-elle répondu ; il commence à me tarder, je te l’avoue, d’être regardée comme ta femme.

Surpris, et voyant s’ouvrir une nouvelle perspective à ses idées, je l’ai pressée de s’expliquer.