Page:Sand - La Filleule.djvu/247

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nouvelle apportée par la couturière, sans qu’elle l’eût désirée et prévue, ne lui causait plus ce plaisir d’enfant qu’elle goûtait à choisir elle-même, à consulter vingt fois Anicée ou madame Marange, à l’emporter après une petite lutte qui exerçait sa volonté et allumait sa convoitise. Personne ne savait plus l’habiller et la coiffer comme cette mère intelligente et enjouée qui, en satisfaisant sa vanité, réussissait à la modérer par le sentiment du goût. Au spectacle, ce n’était plus la petite loge sombre et cachée où l’on n’allait que pour savourer quelque chef-d’œuvre, et où chaque beauté était sentie. C’était la loge brillante, exposée à tous les regards, où il était pas question, non d’écouter, mais de paraître. On ne choisissait plus ; on subissait le hasard de la représentation. La duchesse avait un sentiment assez borné des arts. Elle s’extasiait sur une roulade, sur une pirouette, lorgnait un bel acteur ou critiquait les toilettes de l’avant-scène, mais n’était pas réellement touchée d’une phrase bien dite, d’un sentiment bien exprimé, d’une grâce vraiment poétique. Morenita se sentait comme rabaissée dans sa société, elle qui s’était sentie parfois véritablement artiste auprès de ce jugement droit et de cette délicatesse exquise d’Anicée. Elle se disait à elle-même qu’elle allait devenir nulle, et ressentait, au bout de six semaines d’enivrement, la fatigue et le dégoût de cette vie d’apparat. Toutes les conversations lui semblaient vides, pauvres, niaises, ou d’un esprit tendu et d’une gaieté factice. Sans bien se rendre compte de cette infériorité générale et de la supériorité d’Anicée, elle s’étonnait d’avoir connu l’ennui maladif de la puberté auprès d’elle, depuis qu’elle ne sentait plus ni émotion, ni plaisir, ni désir d’aucune chose dans sa nouvelle existence.

Après avoir sangloté longtemps le soir de ce départ, elle passa au dépit et à la fâcherie. Elle voulut s’imaginer mille extravagances : qu’Anicée ne l’avait jamais aimée ; qu’elle avait donné la main à leur séparation avec une joie secrète ; qu’elle