Page:Sand - La Filleule.djvu/250

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tendre pour la première fois devant une aussi nombreuse compagnie.

L’artiste salua avec assez d’aisance et passa du côté des musiciens.

— Ça, dit le duc à la duchesse en le suivant de l’œil, c’est un gitano !

— Possible, reprit-elle avec indifférence.

— Pur sang ! observa le duc.

— Eh bien, répliqua la duchesse avec un sourire aimable des plus mordants, est-ce que nous méprisons ces gens-là, nous autres ?

Le duc regarda involontairement sa fille, qui n’avait pas vu entrer l’artiste, et qui causait avec Clet, également inattentif à cet incident.

Morenita n’écoutait plus la musique qu’avec distraction. Elle savait par cœur tous les morceaux, elle avait vu tous les artistes sur les planches. Elle était déjà rassasiée des meilleures choses, aguerrie contre les plus mauvaises. Tout à coup, un Tiens ! expressif de Clet lui fit lever la tête ; mais, nonchalante, elle ne remarqua pas l’objet de sa surprise.

— Qu’avez-vous donc ? lui dit-elle.

— Rien, répondit Clet.

Et il recommença à lui faire la cour à sa manière, moitié aigre, moitié tendre, et en somme, assez ridicule, malgré beaucoup d’esprit.

Morenita ne le haïssait plus depuis qu’elle avait quitté Anicée. Il lui rappelait ce tranquille petit monde de la rue de Courcelles et cette quiétude du château berrichon qu’elle regrettait en dépit d’elle-même.

Tout à coup elle cessa de l’écouter et de lui répondre. Une voix d’argent, qui semblait sortir à travers le duvet d’un cygne, chantait quelque chose d’étrange dans une langue inconnue. Le son d’une guitare vigoureusement attaquée contrastait, par