Page:Sand - La Filleule.djvu/269

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— Non ! je t’abandonnerais, répondit froidement Rosario, en lui lançant un regard d’inexprimable mépris qui l’effraya plus que sa colère.

Elle plia involontairement le genou devant lui, en lui répondant, comme fascinée par une puissance inconnue :

— Oui, je l’oublierai ! et quant à la haine… c’est déjà fait, va ! ajouta-t-elle en se relevant et en retrouvant son énergie avec cette mobilité d’émotion qui lui était propre

— Viens jurer cela sur mon cœur, dit Rosario en lui ouvrant ses bras.

Elle s’y jeta, mais se sentant étreindre avec une force convulsive, elle eut peur encore et poussa un cri.

— Tais-toi, malheureuse ! dit Rosario en lui mettant la main sur la bouche. Que crains-tu de moi ? ne suis-je pas ton frère ? n’ai-je pas le droit de t’embrasser, de te gronder, de te sauver de toi-même ?

Rosario ou plutôt Algénib, car c’était le nom mystérieux qu’il avait reçu de ses parents, et l’autre n’était que le nom chrétien que les gitanos méprisent en secret ; Algénib éprouvait pour Morenita un amour effréné, qui, à chaque instant, menaçait de l’emporter sur sa ruse ; mais il la voyait pure, et il sentait que la passion seule vaincrait son effroi et sa surprise. Cette passion ne pouvait naître dans son cœur tant qu’elle le regarderait comme son frère, et le gitano redoutait ce moment où il lui faudrait avouer son mensonge, dévoiler son plan de séduction et s’exposer peut-être à une méfiance invincible. Morenita avait avec lui la crédulité d’un enfant ; elle n’avait pas seulement songé à demander sur quelles preuves il établissait leur parenté. Trompée une fois, ne craindrait-elle pas de l’être encore, et ne reculerait-elle pas épouvantée devant la pensée d’un amour incestueux ?

Pour certaines tribus de bohémiens errants, l’union entre frère et sœur n’est pas plus criminelle qu’elle ne l’était chez