Page:Sand - La Filleule.djvu/278

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faisait vous voir sortir de la maison quelquefois, comme aujourd’hui, par exemple, je ne me douterais pas que vous y venez souvent. Je dis souvent, je n’en sais rien, après tout. N’abusez pourtant pas de ma tolérance. Le monde est méchant, et le duc, qui a de terribles préjugés, ne me pardonnerait pas d’avoir permis ces relations trop légitimes et trop naturelles d’une sœur et d’un frère, quelque secrètes qu’elles fussent.

— Ah ! madame la duchesse, répondit Rosario, jouant la même comédie que son interlocutrice, bien qu’il ne songeât pas plus à la tromper qu’elle ne devait espérer de le tromper lui-même, vous êtes un ange de bonté et de justice. Vous seule au monde êtes assez grande pour comprendre le besoin qu’éprouvent deux pauvres parias, perdus ou tout au moins déplacés dans un monde ennemi, de se rapprocher et de goûter les douceurs d’une amitié sainte. C’est un bonheur qu’eux seuls peuvent se donner l’un à l’autre ; car ils seront toujours, quoi qu’on fasse, exclus de la famille des vieux chrétiens !

— J’ignore absolument quelles sont les intentions du duc pour l’avenir de votre sœur, reprit la duchesse, mais je suis certaine qu’il ne vous permettra jamais de la voir, et qu’il vous chasserait de sa maison si vous vous hasardiez à y reparaître. Il l’a fait une fois déjà avec tant de rigueur ! Ah ! mon cœur en a saigné, je vous l’ai dit. Mais que voulez-vous ! dans notre race comme dans la vôtre, les femmes sont esclaves, et les hommes aussi sont esclaves de leurs propres préjugés ! Le duc est pourtant le meilleur des hommes !

— Oui, madame, on le dit ; mais on assure qu’il a des moments de colère où il est implacable !

— Quoi ! pensa la duchesse en frissonnant, le gitano saurait-il ?… Oui, ces gens-là savent tout dès qu’ils se mettent en tête de savoir quelque chose ! Eh bien, n’importe, j’ai passé ce Rubicon dans ma pensée. — Mon cher enfant, dit-elle avec