Page:Sand - La Filleule.djvu/303

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Il se remit sur ses pieds en se disant qu’allumer une passion, malgré tant de souvenirs propres à l’empêcher de naître, et toute cette prose que l’habitude répand dans la poésie de l’amour, était une conquête d’autant plus glorieuse. Il lui était passé aussi quelquefois par la tête que Stéphen inspirait cette passion quand même à sa filleule. Sans se l’avouer précisément, il eut du plaisir à se persuader qu’il l’emportait sur un homme qu’il avait toujours senti supérieur à lui, et, à tout événement, il commanda la chaise de poste à la sortie de la ville, se munit du manteau, et monta dans le fiacre pour se rendre au couvent. Il n’avait oublié que la clef de la grille du parloir.

Il faisait nuit, et il eut à s’approcher du portier, qui était fort clairvoyant, pour se faire reconnaître. Cette clairvoyance était moindre à la sortie des visiteurs qu’à leur entrée, personne ne pouvant prévoir qu’il fût possible de traverser les grilles du parloir.

Ordinairement Clet, lorsqu’il venait dans la soirée, attendait dans l’obscurité qu’on eût averti Morenita. Elle arrivait alors avec une religieuse qui apportait de la lumière, qui s’assurait que le visiteur était bien celui dont les parents autorisaient l’assiduité, et qui se retirait après avoir échangé quelque politesse avec lui.

La surprise de Clet fut grande en voyant le parloir éclairé et Morenita seule devant lui, non derrière la grille, mais dans le compartiment de la pièce où il se trouvait lui-même. Elle portait un coffret où étaient ses bijoux, et une mantille noire enveloppait sa taille.

— Est-ce vous, grand Dieu ? s’écria-t-il. Par où êtes-vous sortie ?

Morenita lui montra ses bras meurtris, ses mains ensanglantées.