Page:Sand - La Filleule.djvu/307

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bande de bohémiens qui l’accuseraient publiquement d’avoir enlevé cette jeune merveille, et qui feraient un esclandre pour le rançonner. Il pensa ne devoir pas pousser la chevalerie jusqu’à ce risque, et, appelant le postillon, après s’être assuré que l’endroit était désert, il fit arrêter la voiture. Alors, prenant la petite par un bras, il la planta sur le chemin, en lui donnant un louis et en lui disant :

— Si tu entends le français, ma mie, reçois mes remercîments pour le service que tu m’as rendu, et dis à ceux qui t’emploient que je les bénis pour m’avoir épargné la pire sottise que je pusse jamais faire.

Après quoi il remonta en voiture et continua sa route vers Paris, où il alla raconter l’affaire au duc de Florès, en le priant de ne plus compter sur lui pour épouser miss Hartwell.

Le duc entra dans une véritable fureur contre Morenita, et rendit Clet témoin d’une scène d’intérieur bien étrange.

La duchesse était entrée dans le cabinet de son mari pour prendre sa part du récit de Clet. Un sourire involontaire illuminait son visage expressif pendant qu’il parlait. Le duc s’en aperçut et sa colère augmenta.

— En vérité, madame, s’écria-t-il, on dirait que vous vous réjouissez de la honte et du ridicule que vous avez attirés sur moi !

— Que voulez-vous dire ? demanda la duchesse en le regardant avec audace.

— N’est-ce pas vous qui, malgré mes objections et ma résistance, avez soufflé à cette malheureuse petite fille la pensée de quitter ses parents adoptifs et de venir demeurer chez moi ? N’avais-je pas prévu que vous ne sauriez pas la diriger, que vous lui tourneriez la tête par vos exemples, et que vous l’abandonneriez ensuite à tous les dérèglements de son caractère ?

— Par mes exemples ? reprit la duchesse avec une froideur