Page:Sand - La Filleule.djvu/319

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— Oui, oui, allez-y, vous ferez fort bien, et allez-y seule, dit Algénib, vous me ferez grand plaisir.

Il sortit avec fermeté et sans détourner la tête. Morenita crut voir qu’il lui cachait des larmes de rage.

— Il reviendra, dit-elle.

— Elle me laisse partir ! pensa Algénib en sortant de la maison. C’est qu’elle ne croit pas à mon courage. Il faut que je lui dise adieu de manière à briser le sien.

Il revint frapper à sa porte.

— J’en étais sûre ! se dit Morenita.

— Señora, dit Algénib, je viens de m’informer si la route est sûre pour une femme qui voyagerait seule la nuit dans une voiture de louage. On me dit que, pourvu que le voiturin soit un brave homme, il n’y a aucun risque. La police est trop bien faite pour qu’il y ait des voleurs. Soyez donc sans inquiétude. L’homme que j’ai choisi est sûr et ne se fera pas payer deux fois ; il l’est d’avance. C’est à Genève qu’il vous conduira.

— Pourquoi à Genève ?

— Parce que M. et madame Rivesanges sont là. Présentez-leur mes compliments et recevez mes adieux.

Il la salua avec aisance et disparut. Il quitta bien réellement la maison du garde, et Morenita, qui, de sa fenêtre, le suivait des yeux avec consternation, le vit disparaître au loin dans la direction de Turin.

Alors elle fondit en larmes. S’il l’eût implorée, elle l’eût joué ou brisé. Il la bravait, il était aimé.

Puis, la terreur de l’isolement s’empara de son âme en détresse.

— Seule, seule ! abandonnée ! s’écria-t-elle. Non ! c’est impossible ! Hier, j’avais deux chevaliers qui se disputaient l’honneur de m’enlever ; à l’heure qu’il est, tous deux me méprisent ! Qu’ai-je donc fait, mon Dieu, et que vais-je devenir ? Qui sait si mamita ne va pas me chasser comme une fille perdue ? Ô