Page:Sand - La Filleule.djvu/331

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le préférer à Morenita. Cette mère parfaite, cette femme éminente, avait au fond du caractère une certaine irrésolution que l’idée de la force avait toujours charmée et subjuguée. Elle aimait tout ce qui était un symptôme d’énergie morale, et un peu de tendance à la domination ne la choquait pas. Selon elle, Morenita n’avait que des velléités, Algénib avait des puissances.

Algénib avait beaucoup de respect extérieur et de déférence apparente pour ma femme et pour sa mère ; mais il ne s’épanchait jamais avec personne. Il travaillait avec un soin extrême ses manières, sa toilette, son extérieur. Longtemps il avait copié la tenue, le langage et les modes de ce monde qu’il affectait de mépriser, avec le mauvais goût des parvenus. Chez nous, il épurait tout cela avec une attention sérieuse, et sa préoccupation dominante semblait être de demander à madame Marange les traditions de la bonne compagnie. Morenita paraissait fort sensible à ses progrès, elle qui, d’instinct, avait toujours eu l’aisance et l’aplomb d’une petite princesse.

Elle était plus souvent mélancolique que riante auprès de lui. Elle n’essayait plus d’être coquette : elle craignait son ironie ou son blâme. Il ne la gâtait pas, il faut le dire. Il la dominait par cette passion muette et concentrée qu’elle paraissait subir avec orgueil plutôt que partager avec joie.

C’était ainsi seulement, je pense, que Morenita pouvait aimer. Elle était de ces natures qui abusent, qui épuisent, qui se lassent, et qui ne conservent que ce qu’on les force d’épargner par la crainte de le perdre. Sous ce rapport, Algénib était un amant de génie, et je me disais souvent avec admiration que vingt ans d’analyse du cœur humain ne m’avaient pas donné le quart de la science qu’il possédait à l’endroit de celui de sa fiancée. Il est vrai que la possession de cette femme n’eût jamais été pour moi un idéal capable de me donner tant d’empire sur moi-même.