Page:Sand - La Filleule.djvu/84

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tous ses désirs, ne troublait presque jamais de ses cris le calme de cette suave demeure.

Après la lecture, Anicée et sa mère, qui avaient le goût de l’ordre dans les choses morales et matérielles, s’occupaient alternativement ou ensemble des détails de leur intérieur ; elles renouvelaient ou arrosaient les fleurs choisies qui parfumaient les appartements ; elles ordonnaient le dîner, selon le goût des hôtes qu’elles attendaient ; elles écrivaient leurs lettres, elles s’habillaient l’une l’autre.

Julien rentrait. On s’occupait de lui, de ses études, de ses plaisirs surtout, dont il était beaucoup plus pressé de rendre compte et de demander les moyens de renouvellement. Le chevalier de Valestroit, ou quelque autre vieux ami, venait dîner. Anicée allait ensuite s’occuper du souper et du coucher de Morena. À huit heures, le terme moyen de la réunion était une dizaine de personnes intimes. Une fois dans la semaine, on rendait des visites dans la journée ; une autre fois, on allait au spectacle le soir.

C’est à cette vie placide et délicieusement monotone que Stéphen fut associé. Elle semblait avoir été faite exprès pour lui. Ce jeune homme était un étrange composé de mollesse et d’ardeur intellectuelle. Ses facultés, peu communes par leur précocité, leur variété et leur étendue, le rivaient à l’étude solitaire pendant la journée. S’il paraissait y apporter moins d’acharnement que son ami Roque, c’est qu’il y apportait réellement plus de facilité. Il avait une mémoire prodigieuse et une rare promptitude d’assimilation. Il était de ces heureuses organisations qui n’ont jamais l’air d’avoir travaillé, parce qu’elles n’ont pas besoin de résumer leurs conquêtes. Elles en jouissent en silence et les possèdent sans les compter. Sa modestie excessive ne tenait pas à un effort de sa volonté pour rester dans les limites du bon goût. C’était plutôt une langueur naturelle et charmante qui le préservait du besoin de produire