Page:Sand - La Ville noire.djvu/208

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place à une espèce de fatalisme robuste. La vie de fer et de feu de l’industriel est un délire, une gageure contre le ciel, un continuel emportement contre la nature et contre soi-même. Celle du paysan est une soumission prolongée, demi-prière et demi-sommeil. Le mépris des tourments et des joies qui nous consument est écrit sur sa figure, qui ne sait ni rire ni pleurer. Il contemple et il médite. Il attend toujours quelque chose qui, un peu plus tôt, un peu plus tard, doit venir à coup sûr, pluie ou soleil, ombre ou lumière ; tandis que l’artisan, enfoui dans les mines ou courbé dans l’atelier sombre, a toujours l’esprit et les yeux tournés vers un seul point, l’agriculteur regarde en haut ce qui, des rayons ou des nuages, doit venir donner la dernière et souveraine façon à son œuvre. Tous deux ont arrosé leur tâche des sueurs de leur front ; mais l’artisan n’a façonné qu’un instrument destiné à s’user et à disparaître, une chose fragile qu’il ne reverra jamais, dont il ne connaîtra ni le destin ni la durée : le paysan a fécondé quelque chose d’éternel qui sommeillait, et qui recommence à vivre