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la ville noire.

Devenue Mme Molino, elle avait pris sa petite sœur orpheline avec elle, moins par affection que pour ne pas avoir à rougir de son état d’ouvrière, car, à quatorze ans, Tonine travaillait déjà pour deux. Suzanne se promettait de la faire instruire et de la mettre sur le pied d’une demoiselle ; mais les rêves de Suzanne avaient été de courte durée. Molino était d’humeur volage, comme le sont beaucoup d’hommes passionnés. En peu de mois, il s’était lassé de sa femme. Il l’avait trahie, délaissée et maltraitée. Elle était morte de chagrin avant la fin de l’année en accouchant d’un enfant mort.

Molino fut d’abord repentant et affligé, mais il retourna au vice pour s’étourdir, et se voyant méprisé à la Ville Noire, menacé même par Louis Gaucher, qui vingt fois avait été tenté de le tuer, il afferma sa fabrique et alla s’établir à la ville haute, laissant Tonine devenir ce qu’elle pourrait, et donnant pour excuse que cette petite était fort insolente et ne voulait plus rien accepter de lui.

Le fait est que Tonine eût préféré la mort à l’aumône de son beau-frère. Elle avait vu sa conduite