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la ville noire.

la même manière, pour lui donner éternellement la même forme ? Mon parrain est vieux ! De son temps, quand on n’était pas soldat, on ne devenait jamais rien. Aujourd’hui c’est autre chose, l’industrie règne, et la jeunesse peut arriver à tout !

En discutant ainsi avec le fantôme de Tonine, il devint fort triste, car il lui semblait l’entendre gémir sur elle et sur lui, et la voix plaintive des eaux ruisselant à ses pieds prenait par moments l’accent d’un sanglot. Il se retournait alors involontairement pour se convaincre qu’il était seul, et, se voyant bien seul, il s’attristait encore plus, car il y avait au fond de lui-même une voix encore plus désolée que celle du torrent, et cette voix lui disait : — Te voilà seul pour toujours !

Cependant le démon de l’ambition qui le suivait dans les ténèbres l’aida à se rassurer. — Bah ! bah ! lui disait ce conseiller invisible, la Tonine est un peu moins sotte que les autres, voilà tout ! elle n’a pas voulu se plaindre et avoir le dessous ; elle a bien vu qu’elle n’était pas aimée sérieusement, et qu’une ouvrière comme elle serait un embarras dans la vie