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mais le roi a écouté ma prière tantôt avec des reproches affectueux, tantôt avec une froideur glaciale, et le plus souvent avec une humeur assez marquée. Cette dernière tentative n’a pas été, en somme, plus heureuse que les autres ; et même, quand le roi m’avait répondu sèchement : « Partez, mademoiselle, vous êtes libre, » je n’obtenais ni règlement de comptes, ni passe-port, ni permission de voyager. Les choses en sont restées là, et je ne vois plus de ressources que dans la fuite, si ma position ici me devient trop difficile à supporter. Hélas ! madame, j’ai été souvent blessée du peu de goût de Marie-Thérèse pour la musique ; je ne me doutais pas alors qu’un roi mélomane fût bien plus à redouter qu’une impératrice sans oreille.

« Je vous ai raconté en gros toutes mes relations avec Sa Majesté. Jamais je n’ai eu lieu de redouter ni même de soupçonner ce caprice que Votre Altesse veut lui attribuer de m’aimer. Seulement j’ai eu l’orgueil quelquefois de penser que, grâce à mon petit talent musical et à cette circonstance romanesque où j’ai eu le bonheur de préserver sa vie, le roi avait pour moi une espèce d’amitié. Il me l’a dit souvent et avec tant de grâce, avec un air d’abandon si sincère ; il a paru prendre, à causer avec moi, un plaisir si empreint de bonhomie, que je me suis habituée, à mon insu peut-être, et à coup sûr bien malgré moi, à l’aimer aussi d’une espèce d’amitié. Le mot est bizarre et sans doute déplacé dans ma bouche, mais le sentiment de respect affectueux et de confiance craintive que m’inspirent la présence, le regard, la voix et les douces paroles de ce royal basilic, comme vous l’appelez, est aussi étrange que sincère. Nous sommes ici pour tout dire, et il est convenu que je ne me gênerai en rien ; eh bien, je déclare que le roi me fait peur, et presque horreur, quand je ne le vois pas et que je res-