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explication ! Je ne suis donc pas folle, je n’ai donc pas de visions, je n’aurai donc plus peur de moi-même !… Eh bien pourtant, voyez ce que c’est que le cœur humain ! ajouta-t-elle après un instant de rêverie ; je crois que je regrette ma peur et ma faiblesse. Dans mon extravagance, je m’étais presque persuadée qu’Albert n’était pas mort, et qu’un jour, après m’avoir fait expier par d’effrayantes apparitions le mal que je lui ai causé, il reviendrait à moi sans nuage et sans ressentiment. Maintenant je suis bien sûre qu’Albert dort dans le tombeau de ses ancêtres, qu’il ne se relèvera pas, que la mort ne lâchera pas sa proie, et c’est une déplorable certitude !

— Tu as pu en douter ? Eh bien, il y a du bonheur à être folle ; quant à moi, je n’espérais pas que Trenck sortirait des cachots de la Silésie, et pourtant cela était possible, et cela est !

— Si je vous disais, belle Amélie, toutes les suppositions auxquelles mon pauvre esprit se livrait, vous verriez que, malgré leur invraisemblance, elles n’étaient pas toutes impossibles. Par exemple, une léthargie… Albert y était sujet… Mais je ne veux point rappeler ces conjectures insensées ; elles me font trop de mal, maintenant que la figure que je prenais pour Albert est celle d’un chevalier d’industrie.

— Trismégiste n’est pas ce que l’on croit… Mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’il n’est pas le comte de Rudolstadt ; car il y a plusieurs années que je le connais, et qu’il fait, en apparence du moins, le métier de devin. D’ailleurs il n’est pas si semblable au comte de Rudolstadt que tu te le persuades. Supperville, qui est un trop habile médecin pour faire enterrer un homme en léthargie, et qui ne croit pas aux revenants, a constaté des différences que ton trouble ne t’a pas permis de remarquer.