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— Oh ! je voudrais bien revoir ce Trismégiste ! dit Consuelo d’un air préoccupé.

— Tu ne le verras peut-être pas de si tôt, répondit froidement la princesse. Il est parti pour Varsovie le jour même où tu l’as vu dans ce palais. Il ne reste jamais plus de trois jours à Berlin. Mais il reviendra à coup sûr dans un an.

— Et si c’était Albert… » reprit Consuelo, absorbée dans une rêverie profonde.

La princesse haussa les épaules.

— Décidément, dit-elle, le sort me condamne à n’avoir pour amis que des fous ou des folles. Celle-ci prend mon sorcier pour son mari feu le chanoine de Kleist, celle-là, pour son défunt époux le comte de Rudolstadt ; il est heureux pour moi d’avoir une tête forte, car je le prendrais peut-être pour Trenck, et Dieu sait ce qui en arriverait. Trismégiste est un pauvre sorcier de ne point profiter de toutes ces méprises ! Voyons, Porporina, ne me regardez pas d’un air effaré et consterné, ma toute belle. Reprenez vos esprits. Comment supposez-vous que si le comte Albert, au lieu d’être mort, s’était réveillé d’une léthargie, une aventure si intéressante n’eût point fait de bruit dans le monde ? N’avez-vous conservé aucune relation, d’ailleurs, avec sa famille, et ne vous en aurait-elle pas informée ?

— Je n’en ai conservé aucune, répondit Consuelo. La chanoinesse Wenceslawa m’a écrit deux fois en un an pour m’annoncer deux tristes nouvelles : la mort de son frère aîné Christian, père de mon mari, qui a terminé sa longue et douloureuse carrière sans recouvrer la mémoire de son malheur ; et la mort du baron Frédéric, frère de Christian et de la chanoinesse, qui s’est tué à la chasse, en roulant de la fatale montagne de Schreckenstein, au fond d’un ravin. J’ai répondu à la chanoi-