Page:Sand - La comtesse de Rudolstadt, 1re série.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
11

qu’elle sait encore plus de langues que la Barberini. Parler les langues qu’il ne sait pas, c’est la manie de mon frère. Et puis la musique, qu’il fait semblant d’aimer aussi beaucoup, quoiqu’il ne s’en doute pas, vois-tu ?… C’est encore un point de contact avec notre prima donna. Enfin elle va aussi à Potsdam l’été, elle a l’appartement que la Barberini occupait au nouveau Sans-Souci, elle chante dans les petits concerts du roi… N’en est-ce pas assez pour que ma conjecture soit vraie ?

— Votre Altesse se flatte en vain de surprendre une faiblesse dans la vie de notre grand prince. Tout cela est fait trop ostensiblement et trop gravement pour que l’amour y soit pour rien.

— L’amour, non, Frédéric ne sait ce que c’est que l’amour ; mais un certain attrait, une petite intrigue. Tout le monde se dit cela tout bas, tu n’en peux pas disconvenir.

— Personne ne le croit, madame. On se dit que le roi pour se désennuyer, s’efforce de s’amuser du caquet et des jolies roulades d’une actrice ; mais qu’au bout d’un quart d’heure de paroles et de roulades, il lui dit, comme il dirait à un de ses secrétaires : « C’est assez pour aujourd’hui ; si j’ai envie de vous entendre demain, je vous ferai avertir. »

— Ce n’est pas galant. Si c’est ainsi qu’il faisait la cour à madame de Cocceï, je ne m’étonne pas qu’elle n’ait jamais pu le souffrir. Dit-on que cette Porporina ait l’humeur aussi sauvage avec lui ?

— On dit qu’elle est parfaitement modeste, convenable, craintive et triste.

— Eh bien, ce serait le meilleur moyen de plaire au roi. Peut-être est-elle fort habile. Si elle pouvait l’être ! et si l’on pouvait se fier à elle !

— Ne vous fiez à personne, madame, je vous en sup-