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exactement ce qui se passe dans votre propre cœur depuis que vous êtes séparée du comte de Rudolstadt, si toutefois vous m’y autorisez.

— J’y consens, répondit Consuelo, car sur ce point je sais que vous ne pourrez m’abuser.

— Eh bien, vous aimez pour la première fois de votre vie, vous aimez complètement, véritablement ; et celui que vous aimez ainsi, dans les larmes du repentir, car vous ne l’aimiez pas il y a un an, celui dont l’absence vous est amère, et dont la disparition a décoloré votre vie et désenchanté votre avenir, ce n’est pas le baron de Trenck, pour lequel vous n’avez qu’une amitié de reconnaissance et de sympathie tranquille ; ce n’est pas Joseph Haydn, qui n’est pour vous qu’un jeune frère en Apollon ; ce n’est pas le roi Frédéric, qui vous effraie et vous intéresse en même temps ; ce n’est pas même le bel Anzoleto, que vous ne pouvez plus estimer ; c’est celui que vous avez vu couché sur un lit de mort et revêtu des ornements que l’orgueil des nobles familles place jusque dans la tombe, sur le linceul des trépassés : c’est Albert de Rudolstadt. »

Consuelo fut un instant frappée de cette révélation de ses sentiments intimes dans la bouche d’un homme qu’elle ne connaissait pas. Mais en songeant qu’elle avait raconté toute sa vie et mis à nu son propre cœur la nuit précédente, devant la princesse Amélie, en se rappelant tout ce que le prince Henri venait de lui faire pressentir des relations de la princesse avec une affiliation mystérieuse où le comte de Saint-Germain jouait un des principaux rôles, elle cessa de s’étonner, et avoua ingénument à ce dernier qu’elle ne lui faisait pas un grand mérite de savoir des choses récemment confiées à une amie indiscrète.